L'impossible réforme de la monarchie administrative

A la fin de l'Ancien Régime, la monarchie française est profondément affaiblie, ces faiblesses étaient connues de ses agents, on connaissait leurs gravités, on voulait y remédier. La monarchie cherche à se réformer de l'intérieure, mais des résistances importantes se font jour lors des tentatives de réformes.

I- L'impossible réforme administrative

A la fin de l'Ancien Régime, la France reste un pays centralisé, les pouvoirs sont aux mains du roi à Versailles et des intendants en province. Toutes les régions ne disposent pas d'Etats provinciaux. Cet état de fait est assez mal accepté dans la seconde moitié du 18e siècle. Les hommes veulent prendre part aux affaires, ils veulent devenir des citoyens.

A) Dès les années 1770, une réforme est nécessaire

En 1775, le contrôleur général des finances est Turgot, il est proche des physiocrates, Dupont de Nemours, un de ses proches publie en 1775 « Mémoire sur les municipalités », le projet est intéressant à double titre car il s'intéresse à l'administration provinciale et à l'éducation. Pour lui, le grand handicap de la France est qu'elle ne constitue pas une véritable nation, car les français sont divisés en ordre et en provinces privilégiées. Il propose d'unifier l'enseignement et de former ainsi des citoyens. Il propose la mise en place de toute une hiérarchie de municipalités, c'est-à-dire d'assemblées établies à différents degrés, à la base, celle du village ou de la ville, puis celle de l'arrondissement, puis celle de la province, enfin une municipalité générale du royaume. Toutes devant être composées de propriétaires. C'est un projet inspiré par les physiocrates. Il faut permettre aux citoyens de gérer en partie les affaires, ils ont un rôle à jouer pour le pays. Il ne préconise pas pour autant la disparition des intendants.

B) L'expérience de Necker

Il va s'occuper de finances entre 1776 et 1784, il n'a pas le titre de contrôleur général des finances car il est étranger et protestant. En octobre 1776; il devient directeur général du trésor et en juin 1777, il devient directeur général des finances. Il va profiter de sa situation pour réaliser quelques réformes, en 1778, il publie un mémoire au roi sur la création des assemblées provinciales, dans ce mémoire, il propose au roi de créer des assemblées provinciales dans les Etats qui étaient dépourvus de représentation. Dans ces assemblées, les trois ordres sont représentés avec une représentation double pour le Tiers-Etat. Certaines assemblées vont être créées, à Bourges en 1778, à Montauban en 1779. Elles avaient pour tache de gérer les affaires provinciales : lever des impôts, entretenir les routes, organiser l'assistance. En mars 1781, Necker est renvoyé et ne peut achever son oeuvre.

C) Les réformes de 1786 et 1787

Deux ministres du roi vont tenter à leur tour une réforme administrative d'ampleur, Calonne et Loménie de Brienne. Calonne est contrôleur général des finances depuis 1783, en 1786, il propose une réforme administrative d'ampleur, qui se rattache en grande partie au projet de Dupont de Nemours, il préconisait la mise en place d'assemblées composées de propriétaires (assemblée de paroisse, district, province). En avril 1787, Calonne est renvoyé, Loménie de Brienne va reprendre le projet, à partir de l'été 1787, il va le mettre en application, il décide de créer des assemblées provinciales dans toutes les généralités dépourvues d'Etats ou d'assemblée "Necker", soit dans 23 généralités. Elles sont composées comme les "assemblées Necker". Elles n'ont que peu de pouvoirs : répartition de l'impôt, charité, travaux publics, police économique. Cette réforme est trop timorée pour satisfaire la population. La décentralisation n'est pas réelle, le besoin d'une réforme profonde reste présent.

II- La crise financière et ses conséquences

Un besoin de réformes se faisait sentir, la monarchie s'est montré incapable de faire cette réforme.

A) Le problème fiscal

A la fin de l'Ancien Régime, il est triple :

- le mode perception indirecte : en début d'année la ferme générale ,à qui était affermis les impôts indirects, avançait au roi le produit supposé des impôts, ensuite elle se remboursait an prélevant les impôts avec un bénéfice de 10 à 15 %. A partir des années 1770, on lui retire quelques unes des ces attributions qui sont désormais confiées à des agents de la monarchie.

- les impôts directs sont souvent mal acceptés par les populations, on les considère, par définition, comme étant temporaires, ils sont justifiés dans leur création par un événement exceptionnel. La monarchie n'a qu'une liberté contrôlée pour créer ou pour augmenter les impôts. La tradition précisait que les impôts directs nouveaux devaient être consenties par la nation « Nul prince peut autrement lever impôt que par l'octroi » (Pierre de Comynes). L'impôt doit être accepté, consenti, car il s'attaque à un droit naturel, la propriété. Il pèse essentiellement sur le Tiers-Etat rural, une bonne partie des urbains. Le système fiscal d'Ancien Régime est inégalitaire, d'une grande complexité, mal accepté par la population, il ne pouvait pas répondre aux besoins d'un Etat moderne comme la France au 18e siècle.

B) La crise financière

Elle devient particulièrement difficile dans les années 1770 et 1780. Entre 1776 et 1781, Necker se refuse à augmenter les impôts. Il poursuit la politique de Turgot mais les dépenses augmentent du fait de la guerre d'Indépendance américaine. Il y a augmentation des emprunts, en cinq ans, Necker emprunte 560 millions de livres, soit un peu plus d'une année des dépenses ordinaires du roi. En 1780, le roi s'engage à ne plus augmenter la taille sans avoir préalablement obtenu l'autorisation du parlement, cela sur le conseil de Necker. En 1780, le déficit budgétaire commence à s'accroître, entre 1783 et 1786, Calonne va emprunter pour fiancer l'Etat, le déficit s'accroît donc. Dans ces années 1780, les critiques contre la politique de l'Etat se font plus vives, la monarchie n'a plu les moyens de sa politique. Des pressions de plus en plus fortes émergent pour obtenir une véritable réforme fiscale.

C) Les dernières réformes

Calonne, en 1786, tente une réforme, il propose au roi, toute une série de mesure destinées à transformer le système fiscal du pays et à réduire les déficits, il propose la suppression de la corvée, également des réformes qui doivent permettre une meilleure répartition : allégement de la gabelle et uniformisation dans tout le royaume. Il propose aussi la suppression des deux 20ième et leur remplacement par la subvention territoriale (payable en nature, pesant sur la richesse foncière). Il propose aussi une vente d'une partie du domaine royal. Calonne pour évitait l'opposition directe des Parlements fait convoquer en février 1789, une assemblée de notables (144 personnes représentant les trois ordres) pour proposer ses réformes. Cette assemblée refuse la réforme des impôts proposée par Calonne. Cela entraîne la disgrâce de Calonne, et la nomination de Lomenie de Brienne, il reprend le projet de Calonne avec des modifications :

- subvention territoriale en argent

- généralisation de certaines taxes indirectes

Ce projet est également refusé par l'assemblée des notables. En août 1787, on propose le projet au Parlement, ce dernier refuse, on l'enregistre de force, cela entraîne une crise parlementaire pendant un an. En mai 1788, la réforme de Lamoignon, limite les pouvoirs des Parlements. A l'été 1788, la France est au bord de la banqueroute, le 16 août 1788, les dépenses de l'Etat sont suspendues pour six semaines. Le 8 août 1788, les Etats Généraux avaient été convoqués pour le 1 mai 1789.

III- La crise sociale et son impact politique

En 1787, les problèmes administratifs et financiers ne sont pas les seuls, il y avait aussi un problème social. L'organisation en ordre n'est plus acceptée par la population, l'image de la société et la société elle-même ne sont plus en concordance.

A) Le mécontentement du Tiers-Etat

En août 1779, le roi décide d'affranchir tous les serfs du domaine royal, il invitait tous les seigneurs du royaume à en faire de même. En novembre 1787, est publié l'Edit de Tolérance qui autorise le culte protestant, qui rend aux protestants leur Etat-civil. La monarchie se prétend absolue mais elle accepte des principes nouveaux. Le Tiers-Etat réclamait l'égalité des chances : le choix du personnel pour les postes les plus importants ne devait pas se faire sur la naissance; une certaine justice fiscale : meilleure répartition de l'impôt en fonction des capacités des individus à participer aux besoins de l'Etat.

B) L'apparition du « parti patriote » ou « national »

Ce sont des hommes favorables aux changements et qui vont s'organiser progressivement en 1787 et 1788. Pour ces hommes, il est nécessaire de modifier en profondeur les relations entre le roi et ses sujets, ils demandent la réunion des Etats-Généraux, le doublement de la représentation du Tiers-Etat, le vote par tête. En septembre 1788, ils se constituent en force d'opposition, en effet les Parlements en septembre 1788, se prononcent pour la réunion des Etats-Généraux dans la forme de 1614.

Le « parti patriote » n'est plus un parti de privilégiés, c'est le parti du Tiers-Etat, il s'organise, il se dote d'un programme, il crée des clubs à Paris, publie des brochures comme « Qu'est-ce que le Tiers-Etat » de Sieyes.

C) Le programme du « parti patriote »

Il expose clairement les revendications du Tiers-Etat mais aussi la vision de la société de ces hommes. La réponse à la question de Sieyes est que le Tiers-Etat est une nation à lui tout seul, car il fait vivre le pays, que toutes les activités fonctionnent grâce à lui, les privilèges sont donc inutiles, ils oppriment le Tiers-Etat. A la question : qu'en est-il jusqu'à maintenant de l'ordre politique, la réponse est rien, car la France est une véritable aristocratie, le pouvoir est détenu par les privilégiés et non pas par le roi lui-même. La France n'est plus une monarchie. A la question : que désire-t-il, la réponse est : quelque chose, cela signifie avoir une existence politique reconnue, avoir son mot à dire, il demande donc que les députés soient élus dans les rangs du Tiers-Etat, double représentation et vote par tête. Dans la seconde partie de son pamphlet, Sieyes précise en effet que la nation devra rédiger une constitution, elle ne pourra pas être rédigé par les Etats-Généraux, car ils donnent trop d'importance à la noblesse et au clergé. Il demande aux représentants du Tiers-Etat de se séparer des premiers ordres pour rédiger la constitution.

En janvier 1789, l'Etat est contesté dans sa légitimité, incapable de se réformer lui-même. En comparant la France à l'Espagne, les évolutions de la monarchie sont différentes les unes des autres. En France, il y a un affaiblissement permanent de l'Etat au 18e siècle, en Espagne, le processus apparaît comme inversé, avec une progression de la centralisation, avec un meilleur contrôle des oppositions provinciales, l'Etat est plus fort, plus cohérent.

 

Bertrand, J-P. Les cause de la Révolution française. Paris, Armand Colin, 1992.
 

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